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La centrale à biomasse de Gardanne menace les forêts cévenoles

septembre 3, 2013

Source :  Reporterre, le site de l’écologie, lundi 2 septembre 2013

La compagnie E.ON veut mettre en fonctionnement une grande centrale électrique à biomasse, à Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône. Mais il faudra aller chercher loin le bois lui servant de combustible. La menace est forte d’industrialiser la forêt cévenole, dans le Gard et en Lozère, selon IACAM.


E.ON, entreprise allemande, 3ème groupe mondial du secteur de la distribution d’énergie [1], a reçu l’autorisation de reconvertir la centrale thermique de Gardanne (Bouches-du-Rhône) en centrale à biomasse. Ce projet, largement soutenu par l’État au travers d’un contrat d’approvisionnement sur vingt ans, constitue le plus important en France dans le domaine de l’énergie biomasse à ce jour

Pour autant le gain énergétique, au regard de l’investissement pharaonique (230 millions d’euros pour E.ON [2]), n’est pas concluant [3] et le projet est contesté dans sa faisabilité [4]. Le fort soutien qu’apporte l’État à cette occasion s’explique par le souci de préserver des emplois sur le site de Gardanne, car E.ON avait affiché sa
volonté de se séparer de toutes ses centrales thermiques en France [5] (cinq au total).

Plutôt que d’assumer socialement les conséquences de sa stratégie, et d’éventuellement re-déployer son personnel sur d’autres activités, l’entreprise envisageait des départs anticipés et licenciements – peu de reclassements. Rien de très étonnant : alors que son chiffre d’affaire a été multiplié par 420% [6] (120 milliards d’euros en 2012) en dix ans, le groupe s’est délesté de 20% de son personnel (soit 20 000 personnes) entre 2002 et 2006 [7] .

E.ON affiche aujourd’hui une volonté de promouvoir les énergies durables, ce qui n’a pas toujours été le cas : en 2008 le groupe était le second pollueur européen en terme d’émission de CO2.

L’entreprise s’est aussi rendue célèbre avec la deuxième plus grosse amende de l’histoire de l’U.E. en 2009 pour entente illicite (533 millions d’euros) : GDF et E.ON s’étaient entendus pour se partager la distribution du gaz russe en France et en Allemagne, en s’assurant que chacun ne viendrait pas piétiner les plate-bandes économiques de l’autre (en d’autres mots : pas de concurrence) [8].

La centrale à biomasse et ressources forestières

Pour faire fonctionner la centrale de Gardanne, qui doit être opérationnelle en 2014, E.ON a besoin de bois, de beaucoup de bois [9] : entre 800 000 et 1 million de tonnes annuelles. L’État a conditionné son aide à l’impératif de développer les filières bois régionales (dans un périmètre de 400km), et dans un premier temps, 50% de
l’approvisionnement en bois doit provenir des régions voisines.

E.ON affiche que son projet consommera principalement des déchets verts, des
résidus de plans DFCI, et des bois inutilisables à d’autres fins. En vérité, le bois de coupe représente plus de 80% du combustible biomasse et le groupe a un besoin primordial de ressources forestières, c’est-à-dire d’aller chercher du bois sur pied dans les forêts.

Au démarrage du projet donc, et selon les estimations d’E.ON, 50% de la ressource forestière nécessaire sera issue de l’importation de bois venant de l’étranger – où des forêts seront abattues pour être brûlées à Gardanne. Les 50% restants, soit 311 000 tonnes, vont être recherchées principalement dans les régions PACA, Rhône-Alpes et Languedoc-Roussillon. À l’horizon 2025, 100% de la ressource en bois devra être approvisionnée localement, soit 450 000 tonnes d’après E.ON.

Et la châtaigneraie cévenole ?

C’est donc dans le but de présenter ce projet à certains acteurs clés, institutionnels et économiques, des Cévennes gardoises et lozériennes, qu’E.ON est venu le 25 mars dernier à St Hyppolite du Fort (Gard).

E.ON a défini à cette occasion le sud-Lozère, le nord d’Alès, le pays Vigannais et la région d’Anduze-Quissac, comme « Zone d’Approvisionnement Prioritaire (ZAP) » de la centrale de Gardanne.

Parmi les essences forestières convoitées, le châtaignier se situe en tête de liste. En effet, de par son fort rendement calorifique, sa combustion générant peu d’encrassement, et sa forte représentation dans les espaces forestiers (1/3 de la forêt en basses Cévennes, soit 25 000ha [10]), le châtaignier représente une ressource attractive pour une centrale à biomasse.

Ainsi, selon les zones citées précédemment, les prévisions de quantité de bois à prélever varient entre 1 000-7 000 tonnes/an (fourchette basse) et 7 000-11 000 tonnes/an (fourchette haute). Toutefois, rien ne garantit que ces chiffres soient réalistes et, selon les opportunités, les quantités pourraient être nettement supérieures.

Ce que propose E.ON

L’entreprise ne prévoit pas de venir exploiter le bois directement, elle a ainsi besoin de sous- traitants pour négocier avec les propriétaires de parcelles boisées, effectuer les coupes, transformer, conditionner, stocker, et transporter le bois. E.ON incite donc les exploitants privés des Cévennes gardoises et lozériennes à s’équiper en prévision d’une exploitation industrielle du bois, et notamment de la châtaigneraie.

À cet effet, E.ON propose un appui à la recherche de financements permettant« l’innovation » : « araignées » forestières, ponts mobiles pour franchir des rivières, « mini-grumiers » et autres engins d’abattage [11] … l’attirail laisse rêveur quand on pense au patrimoine naturel préservé que représente actuellement les forêts cévenoles.

Ainsi les prestataires locaux seront amenés à faire des propositions à E.ON, et iront de leur côté démarcher les propriétaires forestiers. E.ON achètera le bois exploité non au tonnage ou au m3, mais au KW/h estimé.

Une opération « sous-marin » aux conséquences indéterminées

On peut en premier lieu s’étonner du silence dans lequel se déroule ce projet, dont les appels d’offres aux prestataires ont pourtant commencé en mai 2013.

E.ON a fait savoir lors de sa présentation qu’elle préviendrait les collectivités locales, mais les élus ne semblent absolument pas avertis du projet. Pas plus que les services de l’État : la DDT Lozère a appris le projet par voie indirecte.

Quelles seront les conséquences de la mise en route d’un tel projet pour la Région ? Personne ne peut le dire, surtout pas E.ON qui n’a mené aucune étude à ce sujet, comme le précise la Direction Régionale Environnement Aménagement Logement (DREAL) – PACA : « concernant l’approvisionnement en combustible biomasse (…), il requiert la prise en compte de l’évaluation des effets environnementaux indirects,
inhérents à ces exploitations. Il en va notamment des effets attendus sur le paysage et la biodiversité, ce qui n’est pas évalué ni analysé dans ce dossier (ndlr : le dossier du projet fourni par E.ON). »
 [12]

Enfin, si l’entreprise clame haut et fort la « durabilité » de ses actions, elle ne fait pas mention d’une quelconque stratégie en la matière : aucune incitation à la gestion durable des coupes, aucun projet de plantation après-coupe.

Pas plus que des impacts environnementaux et paysagers, E.ON ne fait guère cas de l’aspect patrimonial de la châtaigneraie. C’est sans doute ce qui l’amène à mentionner, en toute lucidité, parmi les difficultés identifiées :« perception initiale négative de notre projet ». Perception toute relative cependant, étant donnée la totale opacité de l’action et le cercle restreint d’acteurs informés.

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